«Du bon usage de la nature : pour une philosophie de l‘environnement »

Catherine et Raphael Larrère développent dans leur ouvrage une épistémologie de l’environnement et de l'évolution du concept de Nature depuis l'antiquité jusqu'à aujourd'hui . Ils montrent comment l'avancée des travaux philosophiques et scientifiques ont remis en cause les premiers préceptes d'une nature mécanique où règne la stabilité ,où l’homme est absent, et aboutir à une vision contemporaine d’une Nature ou l’homme est un inclus. Certaines formes d’usages du milieu ,dites traditionnelles, montrent que les sociétés ont contribué à la diversification des paysages, des milieux et des espèces. Les auteurs mettent ainsi en valeur le rapport entre Nature et Culture et cette relation mérite d’être analysées car aujourd’hui en France comme dans d’autres pays la gestion conservatoire des milieux consiste souvent à préserver des pratiques culturales paysannes et traditionnelles. Quant à la notion de patrimoine, elle renvoie à une idée de bien et de valeur à conserver pour les générations futures mais la question est de savoir ce qui est à transmettre car la valeur d’un milieu est différentes selon les acteurs et usagers.


Les premiers concepts de l’Antiquité : une nature extérieure à l’homme


Dés l'antiquité , les philosophes s'interrogent sur l'appartenance des choses du monde de ce qui nous entoure. Pour Démocrite ( -460;-370 av JC) « Les qualités sensibles ne sont pas des propriétés de l'être, les qualités existent par convention , mais les atomes et le vide par nature... ce qui se fait par nature se fait au hasard comme un résultat mécanique alors que ce qui se fait par convention provient d'une intervention... le produit d'un art ». Il oppose dans l'homme le concept de physique ,qu'il considère comme la nature,au concept d'éthique représenté par la pensée. On reconnais là une première tentative de différencier ce qui est humain de ce qui est naturel. La nature est par conséquent considérée extérieure à l'homme.


Pour Protagoras ( 485-420 av JC), « l'homme est le laissé pour compte de la nature dépourvue de ce qui est nécessaire à sa vie ,c'est pourquoi il devrait disparaître... S'il survit, c'est qu'il s'est doté d'une technique capable de subvertir la nature défaillante et que des sociétés se sont formées... C'est pourquoi les hommes ont besoin de la cité, du lien conventionnel que les citoyens établissent entre eux en participant également au pouvoir … ». Protagoras considère la nature comme le milieu naturel qu'il qualifie d'hostile pour la vie humaine. Seule la vie en société et la civilisation et son pouvoir central permet de mobiliser les forces et les hommes pour développer des techniques et aménager le milieu naturel afin de le rendre productif. On reconnaît là l'idée d'utilisation et d'usage de la nature et de sa modification pour assouvir les besoins humains.


La vision finaliste d’Aristote


Aristote ( 384-322 av JC) propose une définition dans son sens premier et fondamental de la nature : « la substance des choses qui possèdent en elles mêmes leur principe de mouvement... la physique comprend les causes premières de la nature et du mouvement naturel dans son ensemble... le mouvement ordonné des corps célestes de la région supérieure... les éléments corporels, leur nombre, leurs propriétés, leurs transformations les uns dans les autres... les phénomènes pluies, grêles, arc en ciel, marées, mers et cours d'eau ». Pour lui la nature ,la physique et tous les individus vivants possèdent un caractère automoteur et l’état naturel est marqué par cette force automotrice. Sa conception inclut enfin l’homme dans la nature mais sa vision est anthropocentrée et hiérarchisée. Pour lui « les plantes existent pour les animaux et les animaux pour l’homme… ». Encore une fois apparaît l’idée d’usage et d’utilisation de la nature par l’homme.


La Natura naturata : une nature en équilibre crée par dieu dont les hommes peuvent disposer


Avec le christianisme, la nature est crée, passive,fonctionnant comme dieu l’a prévu et l’homme peut en disposer et la manipuler. Dans la genèse dieu ayant donné en commun à l’humanité la terre et tout ce qu’elle contient, ils appartient aux hommes non d’en disposer arbitrairement, mais d’en faire bon usage. Cette vision d’une nature crée ,appelée « Natura naturata » ,sera développée à l’époque moderne par Descartes (1596-1650) : « la nature est régie par les lois générales que dieu a établi pour conserver son ouvrage par des voies très simples, par une action toujours uniforme, constante, parfaitement digne d’une sagesse infinie et d’une cause universelle ». Dans la conception moderne ,la nature est prévisible car elle obéit à des lois éternelles, parce qu’elle est une infinie répétition du même. Le concept de Natura naturata voit donc émerger l’idée de régularité dans le vivant et de finalité biologique. En opposition ,une vision d’une nature se produisant d’elle-même,dite Natura naturans sera développée par Spinoza (1632-1677) puis par les naturalistes du XVIIIe siècle.


La Natura naturans : une nature se produisant d’elle mème où l’homme est absent


Avec la découverte du nouveau monde et l’émergence des grands voyages maritimes du XVIII ème siècle, la curiosité naturaliste va se développer devant cette grande diversité de forme du monde vivant de part le monde. Chaque grande expédition a son botaniste comme Tournefort, Linné, Jussieu, Adanson ou encore Humboldt. L’étude naturaliste de cette époque veut trouver de l’unité dans cette diversité . En 1735, Linné (1707-1778) fini son ouvrage Systema naturae dans lequel il ordonne et classe les espèces animales et végétales dans des groupes d’après leurs ressemblances et établi un système de nomenclature binomiale. Ces travaux lui permettent de mettre en évidence l’interdépendance de toutes les parties et de toutes les fonctions de la nature : l’idée de système apparaît et d’interactions entre les êtres vivants et le milieu naturel ainsi qu’entre les êtres vivants entre eux. Lamarck (1744-1829) reconnaît pour sa part une action unilatérale et exclusivement physico-chimique du milieu sur le vivant. Elle se maintient dans un mécanisme déterministe qui autorise le finalisme et le conduit à postuler l’hérédité des caractères acquis. Sa théorie transformiste propose une évolution par hérédité des caractères acquis. En opposition, Darwin (1809-1882) rejette cette action unilatérale du milieu sur les êtres vivants car il affirme qu’il faut y ajouter des relations mutuelles. De plus, il prône une variation héréditaire préexistante dans les populations naturelles et la sélection de certains des variants présents, adaptés aux conditions, alors que les moins aptes sont défavorisés, est le moteur de l’évolution. La théorie de l’évolution remet donc en cause aussi bien le déterminisme du milieu physique que l’explication finaliste. Ces visions modernes représentent une Natura naturans, une nature évoluant d’elle même,où l’homme est absent ,comparée à celle de la Natura naturata où tout converge vers l’homme.


La physique du XXéme siécle ,et ses nouvelles découvertes; induit une remise en cause radicale de la science moderne et de sa conception de la nature comme un ensemble de choses qui obéissent à des lois physiques et mathématiques universelles et nécessaires. L'idée d'une nature stable est dépassée : la nature est dynamique, chaotique et imprédictible. L'écologie va prendre la relève de l'histoire naturelle et poursuit l'enquête sur les formes d'organisations du vivant comme sur les processus de la Natura naturans. Le terme d’écologie à été inventé en 1866 par Ernst Haeckel (1834-1919) : il signifie économie de la nature. Le principe du holisme ,énoncé par Emile Durheim (1858-1917) ,dit qu'on connaît un être quand on connaît l'ensemble, la totalité, du système dont il est une partie. Ce point de vue s'oppose à la biologie réductionnisme qui considère l'organisme comme un tout que l'on explique que par les propriétés de de ses composantes . Le holisme sera adopté en sociologie comme en écologie qui s'amorce comme une science attachée prioritairement à l'étude des relations avant celle des objets. Une critique peut etre énoncé à l'égard de l'écologie systémique : comme dans la vision moderne elle est incapable d'intégrer l'homme dans ses recherches. En 1935, Tansley (1871-1955) invente le concept d'écosystème : c'est un modèle qui permet d'intégrer les végétaux, les animaux et les facteurs du milieu. Il envisage également d'appliquer le principe de l'écologie aux espaces anthropisés et ils le sont tous plus ou moins. Ainsi les pratiques humaines seraient intégrées dans l'étude des écosystémes. Mais inclure l'homme dans l'analyse écosystémique s'avère extrêmement difficile car l'homme et ses activités n'ont pas d'ajustement automatique à un contexte de sélection, il s'agit à l'inverse de stratégies intentionnelles. Les logiques sociales ,économiques et culturelles qui président à la diversité des actions échappent à l'analyse de l'écologue.


L’époque contemporaine : l’homme retrouve sa place dans la nature


C’est au XXe siècle la notion de nature sort enfin du cadre de la conception moderne et l’homme retrouve sa place dans celle ci. On cesse de se représenter l’homme comme nécessairement perturbateur des équilibres naturels et destructeur de la nature : sous certaines conditions, celles du bon usage, les activités humaines, les interventions techniques peuvent être favorables, voire même indispensables à la protection de la nature. De nombreuses études d’ethnobotanistes, comme Mac Neely et Keeton , estiment que les pratiques humaines peuvent accroître la biodiversité quand il n’y a pas surexploitation des ressources. La diversité culturelle apparaît alors favorable à la diversité biologique, la préservation de celle-ci doit favoriser celle là.


Le processus d’extinction d’espèces tient à la sélection naturelle amplifiée par les formes humaines de mise en valeur : prélèvements successifs de certaines espèces, déboisements des forets ombrophiles tropicales, urbanisation et infrastructures fragmentant les habitats, pollutions et utilisation de pesticides, développement de l’agriculture intensive au détriment des agricultures traditionnelles. La première loi de protection de la nature de 1976 en France semble inefficace dans bien des cas. La plupart des espèces ne sont menacées ni par la chasse, ni par la cueillette, ni par la malveillance mais bien par la disparition de leurs milieux qui leur étaient favorables. La plupart des espèces à protéger appartiennent pour la plupart à des stades intermédiaires des successions biocénotiques, maintenues en équilibre par les activités humaines. On ne se contente donc pas de « laisser faire la nature » mais de bloquer la dynamique spontanée d’un écosystème ou d’un agrosystème. Protéger des milieux, c’est maintenir des activités, c’est éviter qu’elles ne se transforment ou que l’on ne les abandonne : la nature est gérée.


La nature est un patrimoine : apparition d’une éthique dans la gestion de l’environnement


Pendant longtemps en France, l’opinion dominante fut qu’en matière d’environnement on n’avait pas besoin d’éthique : le recours à l’expertise suffisait. A partir des années 70, on vient à admettre la dimension éthique de notre rapport à la nature, par souci moral car nous en sommes responsables devant les générations futures. Hans Jonas introduit de telles idées en 1979 en appelant à une nouvelle définition de la responsabilité qui ne soit pas seulement l’imputation d’un acte passé, mais un engagement à l’égard d’un avenir dont il reculait le plus vite possible. Il y a du point de vue éthique une obligation de savoir, qui passe par une reconnaissance de notre ignorance : nous ne possédons pas le savoir scientifique des effets futurs de nos actions actuelles. En Allemagne apparaît également le principe de précaution : « il peut être justifié, ou il est impératif de limiter, encadrer ou empêcher certaines actions potentiellement dangereuses sans attendre que le danger soit scientifiquement établies ». Il devient le principe fondateur du droit de l’environnement avec le rapport Bruntland sur le développement durable, en 1988 et le dixième des grands principes retenue au sommet de rio. Avec la précaution, la raison prend le pas sur la peur et ouvre l’espace du débat public. Elle fait appel à la délibération et le modèle en est celui du débat public. Avec ces principes apparaît également la notion de patrimoine naturel, qui introduit le long terme. A partir du moment ou ils ont intégré la notion de patrimoine, les écologues ont fait du « milieu » naturel, un paysage, une structure spatiale qui résulte de l’interaction entre des processus naturels et des activités humaines. C’est cette nature façonnée par l’homme que nous voulons transmettre. La filiation et le commun convergent vers une même idée : celle du bon usage. La gestion en père de famille est le modèle d’une conduite prudente, avisée, lente, visant la continuité, qui ne gaspille pas. Mais une question reste en suspend : Quels paysages voulons nous transmettre ? Ceux que nous avons reçues, ceux que nous avons transformés, et selon quels critères? Selon les auteurs, une chose est juste quand elle tend à préserver, ou augmenter, la diversité biologique. Elle est injuste quand il en va autrement. C’est en tout cas ce vers quoi tendent les gestionnaires d’espaces naturels aujourd’hui. Comme Barbault l’énonce : « la diversité est la base de l’adaptabilité des êtres vivants et peut être des systèmes écologiques et de la biosphère toute entière, face aux changements qui peuvent affecter leur environnement ». La maintenir semble être nécessaire à la résilience de la vie après des perturbations de grande ampleur.


A l’époque contemporaine, l’homme n’est plus extérieur à la nature, il en fait partie. Il devient membre actif d’une nature, à laquelle il peut faire du bien, s’il en fait bon usage. A présent, il est prouvé que la diversité biologique locale repose en grande partie sur les pratiques culturales, et culturelles des populations et des sociétés paysannes qui l’ont préservé ou contribué à la développer.


La notion de développement durable peut servir de règle de bon usage de la diversité biologique, conciliant le libre accès à celle-ci et le maintien sur place de population dont les compétences recevraient leur rémunération associant la justice au respect de la valeur intrinsèque d’un élément naturel.



Grace à se vision éco-centrée, l’ouvrage “ Du bon usage de la nature” invite au débat concernant l’action de l’homme sur une nature dont il fait partie. Il permet de s’interroger sur les règles du bon usage qui doivent permettre de conserver la biodiversité avec des pratiques en équilibre avec le fonctionnement des écosystèmes, plus ou moins anthropisées en agrosystèmes. Son épistémologie de l’environnement depuis l’antiquité est très précise et les réferences bibliographiques sont trés nombreuses, invitant à s’interresser à d’autres auteurs emblématiques ayant marqués l’évolution du concept de nature et de la politique de protection de la nature, comme Aldo Leopold. Je pense que cet ouvrage permet d’apaiser les esprits et de sortir du discours alarmiste d’un homme destructeur et trés nocif pour l’environnement. Certes aujourd’hui, il est prouvé que certaines des activités humaines sont très dangereuses pour la vie ,au niveau global comme au niveau local, mais il ne faut pas omettre dans toutes recherches concernant le paysage et la biologie, que l’homme peut etre un facteur de diversité biologique et favoriser sa création et son maintien.


Sébastien SOL - décembre 2006

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